DURANTON (M.)

Lettre à M. Dubreul, directeur de la poste de Riom. St-Domingue, au Cap, le 22 may 1770. Lettre autographe signée Duranton: 13 pp. in-4. Document historique accablant, décrivant par le menu le système de l'esclavage à Saint-Domingue, actuelle Haïti. La lettre évoque la colonisation et l'esclavage comme système social sur lequel toute l'économie de la colonie repose, avec force détails sordides. Vous connoissés peu la Colonie, mon cher ami, quand vous dittes qu' il seroit a souhaitter qu'on donnâ la liberté aux esclaves, c'est comme si on vouloit vous determiner a vous dépouiller de vos biens pour en faire present aux Etrangers. Comment recevriés-vous cette proposition ? Ne vous paroitroit-elle pas absurde ? (...) figurés-vous que l'esclave est la richesse de l' habitant, c'est luy qui cultive la terre, et qui la défriche. C'est luy qui en recolte les productions. C'est luy enfin qu'on employe aux travaux les plus durs et les plus pénibles, mais il renonce à touttes ses occupations des qu' il recouvre sa liberté, la paresse succede a l'activité, et il devient souvent mauvais sujet. (...) Ce qui me fairoit hésiter a affranchir un esclave, c'est la somme qu' il a coutté, le plus petit vaut jusqu' à 1800ff argent d'Espagne, vous vous imaginés bien qu'on n'aime pas a faire de pareille perte, cependant on s'y résout quelquefois quand on est riche, ou qu'on en a reçu quelque bienfait, ou, comme je vous lay déja observé, quand on a partagé son lit avec quelque négresse, ou mulatresse, je ne peux pas encore concevoir comment on peut avoir le gout assés dépravé pour se livrer a ces vilaines créatures, cependant rien n'est si commun. La conception figée de l'esclavage ne permet pas d'envisager un quelconque assouplissement du système: Je pensois comme vous, quand je suis arrivé à St Domingue, a l'egard des mauvais traittemens qu'on fait aux esclaves, mais j'etois dans l'erreur, il faut mener durement ces malheureux quant ils s' écartent de leur devoir, autrement ils ne travail